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Médicaments et compléments nutritionnels : Pourquoi la hausse des prix ?

L’actualité pharmaceutique est marquée par un changement tarifaire intervenu le 24 mai dernier sur une catégorie de produits au statut hybride mi-médicament et mi-complément nutritionnel de par leur composition (vitamines, acides aminés, minéraux ou extraits naturels).

Cette hausse fait suite à  un reclassement dans la nomenclature douanière de cette catégorie de produits les soumettant à  une fiscalité de porte à  laquelle elle était jusqu’à  présent exonérée.

Sur près de 4.000 médicaments dispensés en pharmacie, 220 articles sont concernés. Ce changement induit par conséquent un changement tarifaire perceptible au niveau du prix au public en pharmacie avec l’application d’une TVA.

Tous ces produits importés au Sénégal sont soumis à  la classification douanière selon la convention internationale de désignation et de codification des marchandises dont le Sénégal est signataire. Cette convention appelée SYSTEME HARMONISE (SH) regroupe près de 200 pays dans le monde et le Sénégal fait partie des 60 pays ayant participé au Comité du SH et au groupe de travail ayant contribué à  l’élaboration de ce système harmonisé, entre 1973 et 1987.

Ce SH classe généralement les médicaments dans le chapitre 30 en position 3004 et la plupart des compléments nutritionnels dans le chapitre 21 en position 2106.

Le Sénégal, dans le but louable de rendre accessible les médicaments aux populations, a choisi de les exonérer de tous droits et taxes à  l’importation, justifiant le classement des médicaments dans la catégorie Zéro (Biens sociaux) du Tarif Extérieur Commun (TEC) qui s’applique à  toutes importations en zone UEMOA étendue plus tard à  la CEDEAO.

Ce qui n’est pas le cas des compléments nutritionnels.

Ainsi, la fiscalité de porte qui s’applique au cordon douanier sur ces deux nomenclatures s’établit comme suit :

–  Pour les médicaments : Prélèvements communautaires de 2.7% (TEC : 2.3% et COSEC : 0,4%)

–  Pour les compléments nutritionnels :

  • Prélèvements communautaires de 2.7% ;
  • Droits de douane à  hauteur de 20% ;
  • TVA de 18%.

Or il se trouve que parmi ces médicaments homologués au Sénégal, des compléments nutritionnels sont classés tels quels par les fabricants eux-mêmes en position 21-06, constituant ainsi une source de diffèrent douanier avec les grossistes-répartiteurs pharmaceutiques lors des déclarations à  l’importation.

Cependant, dans le cadre de sa politique pharmaceutique, l’Etat du Sénégal peut décider de délivrer des Autorisations de Mise sur le Marché (AMM ou Visa) à  des complexes vitaminiques et minéraux, utilisés dans la prise en charge d’affections liées à  la malnutrition ou à  la sous-nutrition, qui frappent en général les populations vulnérables.

On peut rappeler ici une mesure similaire que l’Etat du Sénégal a appliqué en décrétant ce qui suit :  L’enrichissement des huiles comestibles en vitamine A et de la farine de blé tendre en fer et acide folique visées par le présent décret est rendu obligatoire sur le territoire national. (Décret n° 2009-872 du 10 septembre 2009 Article premier).

Le rapport de présentation de ce décret dit ceci : « Les carences en vitamines et minéraux ou « faim inapparente» constituent un véritable problème de santé publique dans le monde et particulièrement en Afrique subsaharienne o๠le tiers de la population continue d’en souffrir ».

Au Sénégal, la proportion d’enfants de moins de six ans affectés par une carence en vitamines A subclinique est de 61 % tandis que l’anémie, qui est le plus souvent la conséquence d’une déficience alimentaire en fer, fait souffrir 82,6 % des enfants de 6 à  59 mois et 59,1 % des femmes de 15 à  49 ans (Enquête Démographie et Santé 2005 au Sénégal).

Les conséquences sanitaires et socio-économiques de ces déficiences nutritionnelles sont considérables : mortalité et morbidité accrues, développement physique et mental altéré, capacités de travail et d’apprentissage diminuées. L’enrichissement des aliments est incontestablement reconnu parmi les interventions les plus efficientes dans le monde. En Afrique de l’Ouest, la fortification des huiles en vitamines A est déjà  effective au Ghana, au Nigéria et en Côte d’Ivoire. »

C’est ainsi que depuis la fin des années 90, et de plus en plus fréquemment, ces différents génèrent de sérieuses perturbations dans le fonctionnement de la chaine de distribution pharmaceutique au Sénégal du fait des conflits entre les positions tarifaires des produits enregistrés comme médicaments par le Ministère de la Santé d’une part et classés comme compléments nutritionnels par la Douane d’autre part.

Tous les surcouts appliqués aux frais d’approche liés à  la résolution de ces différents sont supportés par les grossistes-répartiteurs : frais de magasinage, surestaries, voire pénalités, sans possibilités de les répercuter, les prix des médicaments étant homologués au Sénégal par Arrêté ministériel.

Entre 2020 et 2021, dans le contexte COVID-19, cette situation a connu une exacerbation, le désaccord grandissant entre les acteurs concernés du fait de la hausse importante de la demande en complexes vitaminiques et minéraux, et de la multiplication des références classées dans cette catégorie.

En décembre 2020, il a été mis en place un Comité Tripartite regroupant la Douane, la DPM et les grossistes-répartiteurs dans le but de créer un cadre de concertation autour de cette problématique de classement tarifaire des produits concernés pour lesquels une liste provisoire a été arrêtée, liste devant bénéficier d’une certaine reconnaissance du statut de médicament.

Les perturbations des circuits logistiques et le renchérissement des couts d’approvisionnement (hausse généralisée du fret de +30%, pénurie de conteneurs) intervenus en 2021, ont rendus la situation intenable pour les grossistes-répartiteurs qui ne pouvant répercuter ces hausses à  l’instar d’autres secteurs de l’économie, couraient le risque de voir le sous-secteur de la distribution se fragiliser et connaitre le sort de l’industrie pharmaceutique locale aujourd’hui quasiment à  l’arrêt. Les conséquences seraient gravissimes pour la santé publique.

Dans ses prérogatives, il revient à  la Direction de la Pharmacie et du Médicament (DPM) de qualifier et de confirmer les produits devant être traités comme des médicaments pour deux raisons :

–  les fournisseurs classent certains d’entre eux dans les sous-positions 300450 les définissant comme des médicaments enrichis en vitamines

–  ces médicaments présentent de vraies propriétés thérapeutiques de par leur dosage.

Universellement, le médicament se définit en résumé comme « toute substance ou composition présentée comme possédant des propriétés curatives ou préventives à  l’égard des maladies humaines ou animales, ainsi que toute substance ou composition pouvant être utilisée chez l’homme ou chez l’animal ou pouvant leur être administrée, en vue d’établir un diagnostic médical ou de restaurer, corriger ou modifier leurs fonctions physiologiques ».

La notion de dose intervient ici pour distinguer les médicaments de ces compléments nutritionnels. En effet, dès lors que par leur dosage, ils permettent de soulager et de guérir des maladies par les effets thérapeutiques leur sont conférés, qu’ils soient seuls ou en association avec une molécule médicamenteuse, ils acquièrent le statut de médicament.

En conclusion, en rappelant que les médicaments sont importés à  plus de 95% au Sénégal, nous recommandons ce qui suit :

–  Les deux grandes administrations que sont la Direction de la Pharmacie et du Médicament et celle des Douanes sénégalaises doivent s’accorder définitivement sur le statut de tous les produits concernés en accord avec la stratégie nationale pharmaceutique et la nomenclature douanière afin de leur conférer un statut incontestable mettant fin aux nombreux différents. Ceci permettra par ailleurs de fluidifier les procédures de dédouanement en accélérant l’enlèvement des conteneurs au niveau du Port de Dakar.  

–  Les compléments nutritionnels doivent être maintenus dans le circuit pharmaceutique afin de permettre à  nos autorités sanitaires d’en contrôler toute la chaine de distribution et de garantir leur qualité et leur traçabilité. Pour notre Etat, c’est aussi l’assurance de percevoir tous les droits et taxes y afférents, compte-tenu du système Orbus par lequel passent toutes les importations de produits pharmaceutiques du circuit légal.

–  Notre Etat pourrait réviser à  la baisse la fiscalité de porte liée à  cette position tarifaire 21-06 concernant les vrais compléments nutritionnels, afin d’en amortir l’impact sur l’accessibilité financière au bénéfice des populations.

Il reviendra à  la profession pharmaceutique de saisir les enjeux éthiques et les opportunités en retenant que la tendance est fortement orientée vers des solutions naturelles pour entretenir sa santé.

Il est temps d’envisager une exploitation judicieuse de nos ressources agro-forestières en valorisant nos fortifiants naturels alimentaires tels que le Moringa (Nebedaye), la Spiruline, le Jujubier (Sidem), le « Oule », le « Sump » (dattier du désert) etc.

Avec les réformes en cours dans le secteur de la pharmacie, les conditions sont ici réunies en faveur du développement d’une industrie pharmaceutique locale compétitive, capable de produire aussi des compléments nutritionnels, et réduisant ainsi notre dépendance vis-à -vis des importations.

Dr Jules Charles KEBE
Président du Comité Tripartite Douanes-DPM-Grossistes-Répartiteurs
Fondateur et Directeur Général de DUOPHARM SA
Président du Conseil d’Administration de PARENTERUS SA

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